Architecture industrielle
En vedette: Édifice administratif
de la Dominion Oilcloth & Linoleum Co.
1929, arch.: HUTCHISON & WOOD
2200 rue Sainte-Catherine Est, Montréal
La silhouette de l'édifice s'étire de façon symétrique de part et d'autre de l'angle de rue. Le traitement en pan coupé met en valeur la porte principale. | Publicité de la Dominion Oilcloth Co., avant 1920, donc plusieurs années avant la construction du nouveau siège social en 1929. | Façade sur la rue Ste-Catherine, rythmée de travées régulières (5 travées de 2 fenêtres chacune) séparées par des trumeaux de largeurs alternées. Principale originalité de l'édifice: la conservation de son couronnement de redents, qui lui confère une bonne partie de son caractère. |
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L'élan ascensionnel donné par les verticales est bien perceptible, même pour un édifice aux proportions modestes. La partie en pan coupé est la seule travée à posséder 3 baies, c'est aussi elle qui abrite l'entrée principale: un parti-pris architectural qui témoigne du soin apporté par l'agence Hutchison & Wood à l'édifice destiné à abriter siège de la Dominion Oilcloth, compagnie pionnière dans son domaine à l'époque. | Porte principale d'accès à l'ancien siège de la Dominion Oilcloth. Les ébrasements font apparaître un motif de végétaux entrelacés, dans un traitement non pas stylisé et simplifié comme l'exigerait la cohérence de style, mais au contraire très naturaliste - au point de pouvoir identifier une tige de rosier avec ses fleurs ouvertes, et des rinceaux de vigne avec grappes, feuilles et pampres. | Détail du couronnement de redents. Rares sont les édifices Arts déco de Montréal à avoir conservé ce caractère distinctif, à cause du coût de son entretien et de sa protection contre les intempéries. |
Détail des bas-reliefs ornant les redents majeurs: un motif symétrique apparenté à la "fontaine jaillissante" chère au style Art déco, complété ici par un fruit difficile à identifier avec certitude: pomme de pin? grenade ouverte? |
Ce bâtiment est l’un des rares spécimens d’architecture industrielle très clairement Art déco préservés à Montréal, et à ce titre, particulièrement précieux. Le seul autre exemple aussi typé parvenu jusqu'à nous étant l’édifice de l’ancien siège de la brasserie Dow, construit en 1930 par Harold Lea Fetherstonhaugh (1887-1971). Car on doit déplorer la perte récente du très bel édifice de la compagnie Canadian Marconi dans l’arrondissement Ville-Mont-Royal (réalisé par la prestigieuse agence Ross & Macdonald en 1930 et resté quasiment intact), mais malheureusement sacrifié à la fin des années 1990 pour un projet de développement domiciliaire.
Les trois bâtiments étaient quasi-contemporains, l’édifice du siège de la Dominion Oilcloth construit le premier en 1929, par l’agence Hutchison & Wood, en complément d’un vaste complexe industriel (disparu) qui occupait déjà à cette époque tout le quadrilatère entre les rues Ste-Catherine et Notre-Dame, Fullum et Parthenais, et qui a employé jusqu’à un millier d’employés au milieu du XXe siècle. La compagnie, fondée en 1872 était spécialisée dans la toile cirée, et avait bénéficié notamment de l’essor du chemin de fer en pourvoyant au garnissage des sièges. Mais c'est pour les revêtements de sol qu'elle est célèbre dans les années 1920, et c'est de ses ateliers montréalais que sortira le magnifique revêtement décliné en sept teintes différentes choisi par Jacques Carlu en 1931 pour habiller le sol du restaurant au 9e étage du magasin Eaton de Montréal.
Le choix du style Art déco pour les nouveaux bâtiments érigés par ces compagnies à Montréal n’a certainement pas été dicté uniquement par la mode de l’époque : à constater la qualité de réalisation (et l’envergure des firmes d’architectes embauchées), on comprend que chacune des entreprises tenait à afficher dans son bâtiment une image de modernité associée à ses produits : la Dominion Oilcloth comme pionnière dans la production de sols flexibles en Amérique du Nord, la Canadian Marconi avec ses nouveaux postes de radio (et technologies pour les armées); quant à la brasserie Dow (compagnie dont la création remontait à la fin du XVIIIe siècle! devenue entre temps National Breweries Ltd) elle avait peut-être trouvé là le moyen de renouveler son image dans l’environnement brassicole montréalais – et nord américain – très concurrentiel.
L’édifice administratif de la Dominion Oilcloth se distingue pourtant de ses contemporains par son parti-pris : il est construit non pas en briques (comme l’édifice de la Canadian Marconi et la plupart des bâtiments industriels Art déco), mais en pierre calcaire claire (alors que l’édifice de la brasserie Dow est en pierre grise de Montréal), choix de matériau qui lui confère une élégance certaine.
Cette élégance est renforcée par les lignes du bâtiment, qui se déploie de façon symétrique sur trois niveaux de part et d’autre de l’angle de l’ilot, mettant ainsi l’emphase sur l’entrée du bâtiment. Les deux façades latérales sont rythmées avec soin par des éléments verticaux alternativement forts et faibles, en légère saillie par leur traitement en plans multiples*, et terminés au sommet de la façade par des redents*. Ces éléments verticaux les plus larges (qui font penser à des pilastres*) et les plus ornés déterminent sur chaque façade cinq travées de deux fenêtres, groupées de part et d'autre d'un trumeau*). Contrairement à l’usage courant dans l’Art déco, les allèges* de fenêtres n’ont pas reçu de traitement particulier (bas-relief, contraste de texture) : ici on s’est contenté de deux joints verticaux, accentuant encore la dynamique géométrique de l’ensemble.
Soulignons l’un des éléments les plus remarquables de ce bâtiment : son couronnement intact de redents, qui constitue un trait distinctif de l’Art déco nord-américain. Très rares sont les édifices Art déco montréalais à avoir conservé les redents découpant le sommet de leur façade sur le ciel – l’autre exemple spectaculaire étant l’ancien édifice Tramways sur la rue St-Antoine (1928, par Ross & Macdonald) incorporé depuis 2001 Palais des Congrès de Montréal.
Le marché Atwater (1932-33, par Ludger Lemieux) est sans doute l’exemple le plus emblématique de défiguration causée par l’amputation de véritables épis de pierre qui prolongeaient les murs à la verticale.
À l’image d'une grande partie du « faubourg à m’lasse », qui fut rasée dans un souci radical de modernisation du quartier à la fin des années 1960, le complexe industriel de la Dominion Oilcloth est démoli; seul l’ancien siège social est épargné et incorporé aux installations de Télé-Québec. Il abrite aujourd'hui la chaîne de télévision Canal Savoir.