HISTORIQUE
de l'architecture Art déco à Montréal
On s’accorde généralement à voir les premières influences Art déco dans l’architecture à Montréal se manifester au milieu des années 1920 dans certains projets d’Ernest Cormier (mobilier et portes de l’annexe du Palais de justice de Montréal, 1926; portes – perdues – de la chambre de commerce de Montréal, 1926) comme dans ceux du cabinet Perreault et Gadbois (Bernard avenue Garage, 1924). Pourtant, dans le bâti toujours existant, au moins un édifice antérieur manifeste des lignes clairement Art déco : l’édifice Crane (1800 St-Patrick/Pitt), construction industrielle érigée aux abords du Canal de Lachine dès 1919 par les architectes David Robertson Brown et Hugh Vallance. Un édifice qui peut donc être considéré comme précurseur en Amérique du Nord, puisque antérieur à l’éclosion du style sur le continent à partir de l’exposition parisienne de 1925. (cf.: L’Art déco en Amérique du Nord)
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Les dernières réalisations, qui se présentent comme des prolongements du style, se retrouvent dans les années 1950 et jusqu’au début des années 1960, alors même que, pratiquement partout ailleurs, le style Art déco avait été supplanté par le style international* (et que par ailleurs, la place de Montréal a entre-temps changé sur l’échiquier canadien : Toronto rivalise alors pour le titre de métropole économique).
Représentatifs de cette époque tardive et de la diversité qui a caractérisé toute la période, mentionnons par exemple l’édifice de la Shawinigan Water and Power Company (1946-49, Archibald, Illsey et Perry), l’ancienne succursale de la banque Laurentienne (1949, Édouard Turcotte), l’extension vers le nord du magasin Eaton (1958-59, Grattan D. Thompson), l’ancien Hôtel Laurentien (détruit).
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Entre ces deux dates butoir s’écoulent plus d’une trentaine d’années, d’une production architecturale Art déco caractérisée par sa diversité (cf. Caractéristiques). Trois décennies marquées par un contexte économique extrêmement fluctuant, passant de l’euphorie économique des années 1927-29 à la grande Dépression, puis à la Deuxième Guerre mondiale, suivie d’une nouvelle phase économique ascendante dans les années 1950.
Deux éléments méritent d’être soulignés pour éclairer la production architecturale dite Art déco durant cette période.
Le premier élément concerne les édifices considérés à juste titre comme des emblèmes du style Art déco à Montréal : les édifices Aldred, Architects (détruit), Tramways (dénaturé) et University (altéré) : chacun dans leur genre, ils reflètent très bien l’appropriation de l’Art déco par les grands cabinets d’architectes anglophones. D’initiative privée, tous ces chantiers sont commencés au plus fort de l’euphorie économique de 1927 à 1929 mais ne seront achevés qu’après le crash de Wall Street, en 1930 voire 1931. L’importance de ces édifices, leurs ambitions, peuvent surprendre voire sembler complètement anachroniques aujourd’hui, si l’on ne considère que la date de leur finalisation en plein marasme économique : en effet, comme le souligne C. Bergeron « Ce n’est pas vraiment avant 1931 que les architectes se sentirent à leur tour victimes du désastreux ralentissement de l’économie ».
Le deuxième élément majeur de la production Art déco montréalaise, est constitué bien sûr par le programme de travaux publics lancé par la Ville de Montréal (comme bien d’autres métropoles occidentales) et financé par les trois paliers gouvernementaux : c’est de cette époque que datent plusieurs ouvrages de génie (tunnels sous les voies de chemin de fer, ponts) dont les parapets aux formes géométrisées ont parfois un accent Art déco (exemple le plus spectaculaire largement ignoré des Montréalais : les pavillons du Pont Jacques-Cartier sur l’ile Ste-Hélène) ainsi que près de 70 bâtiments municipaux. Parmi ceux-ci, une trentaine (casernes de pompiers, bains publics, marchés, cliniques, écoles etc.) présentent des caractéristiques Art déco, et certains (malgré les destructions ou les altérations) figurent encore parmi les plus beaux spécimens du style à Montréal.
Ce seul corpus témoigne bien de l’appropriation de l’esthétique Art déco par les architectes tant francophones qu’anglophones à Montréal – esthétique dont la popularité à l’échelle du continent tout entier s’explique à la fois par son imprégnation de valeurs traditionnelles, et par sa capacité à matérialiser l’aspiration des sociétés au progrès et à la modernité.
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Car il convient de rappeler que cette affirmation du style Art déco à Montréal se fait dans un contexte architectural encore largement empreint de tradition académique : le bâti qui domine dans les années 20 et 30 pour les édifices institutionnels ou de prestige est souvent de style beaux-arts*, historiciste*, ou néoclassique*. Quasiment rien dans l’architecture montréalaise du tout début du siècle ne manifestait les tendances les plus modernes apparues alors en Europe ou ailleurs : pas d’influence de l’Art Nouveau* ni des mouvements modernistes européens – à quelques très rares exceptions près :
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quelques réalisations de l’architecte Joseph Arthur Godin (édifice Godin construit en 1910, transformé en 2005, actuel Hotel 10, 10 rue Sherbrooke Est),
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l'ancienne caserne nº1 de Maisonneuve (1915) de Marius Dufresne (actuel centre d'entraînement du club de l'Impact de Montréal), inspirée du Unity Temple de F.L. Wright;
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le Motordrome (1918, actuel Loft Hotel) de Ernest Cormier par exemple.
Rien qui n’ait fait école, en tous cas.
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Les institutions municipales en général sont rarement novatrices en architecture; pourtant, le choix d’un nouveau langage architectural pour un grand nombre de projets municipaux des années 1930 témoigne clairement de l’aspiration de la Ville à accéder à une modernité comparable à celle des grandes villes américaines et européennes : c’est dans ce contexte que ces formes nouvelles vont s’imposer comme architecture moderne à Montréal, ainsi que dans le reste du Canada – c’est d’ailleurs sous cette dénomination qu’elle est connue à l’époque (le terme d’"Art déco" étant lui-même beaucoup plus tardif).
Les débuts
La fin
L'évolution