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L'ART DÉCO en Amérique du Nord

Bien que certaines réalisations Art déco soient apparues à Montréal dès le milieu des années 1920 (à l’initiative d’Ernest Cormier et des architectes Perrault et Gadbois, cf. Historique), on considère que c’est New York le berceau de l’Art déco outre-Atlantique, et que le rayonnement de l’exposition de 1925 à Paris en est la source.

 

Absents comme exposants à Paris en 1925, les États-Unis n’y délèguent pas moins un comité de visite chargé de rendre compte de l’Exposition parisienne[1]. Cette délégation américaine à l’Expo parisienne est composée de plus d’une centaine de représentants des milieux de la décoration, du mobilier, du textile et des industries de la construction. À sa tête Charles R. Richards, directeur de l’American Association of Museums, chargé de sélectionner des objets pour fins d’exposition itinérante aux États-Unis : en tout 400 objets, dans toutes les catégories des arts décoratifs, prêtés par les artistes français, présentés pour la première fois en 1926 au Metropolitan Museum de NY, qui vont véritablement lancer la mode de l’Art déco auprès du grand public.

Les grands magasins new-yorkais comme Macy’s ou Lord & Taylor s’engagent dans une course effrénée pour être le premier à mettre sur le marché la nouvelle esthétique : en important des objets et du mobilier signés des créateurs français d’abord, puis en copiant ces originaux (y compris parfois sans autorisation).

 

Pourtant, le style Art déco a pu se répandre sur le territoire américain bien avant l’exposition de 1925.  En particulier parce que depuis le début du 20e siècle, beaucoup d’architectes américains (comme leurs homologues montréalais et canadiens) sont allés à Paris se former à l’École des beaux-arts – entre autres : Edward H. Bennett (1874-1954) qui fait carrière à Chicago, Wallace K. Harrison (1895-1981) qui fait carrière à NYC, William Van Alen (1883-1953), l’architecte du Chrysler building.

Dans le même temps, des Français comme Paul Cret (1876-1945) et Jacques Carlu (1890-1976), pétris des idéaux Art déco, enseignent aux États-Unis[2] (P. Cret à Philadelphie et J. Carlu à Boston), et font partager leurs idées d’architectes et de décorateurs en construisant aux États-Unis et au Canada : Paul Cret, architecte entre autres de l'édifice historique de la Fondation Barnes (1923), du Musée des beaux-arts de Detroit (1927), de la gare centrale de Cincinnati (1933, en collaboration avec  Alfred T. Fellheimer, Steward Wagner et Roland A. Wank); et Jacques Carlu, architecte en chef du Palais de Chaillot à Paris (1935-37), qui réalise les aménagements des magasins Eaton à Toronto et Montréal, et la décoration de l’hôtel Carlton à Boston.

Ajoutons encore l’influence du plus brillant des ferronniers d’art de l’Art déco, Edgar Brandt (1880-1960), qui ouvre en 1925 une succursale à NYC, appelée Ferrobrandt, et qui travaille à Montréal en collaboration avec E. Cormier (mobilier de l’annexe du Palais de justice de Montréal, 1922-25 – actuel édifice de la Cour d'appel du Québec ; portes de la chambre de commerce de Montréal[3], 1923-26 – perdues).

 

Toutes ces réalisations contribuent à la vitalité de l’esthétique Art déco en Amérique du Nord dans la période euphorique de la fin des années 1920, mais cette vitalité ne se dément pas même après l’entrée dans la Grande Dépression des années 1930. Les programmes de travaux publics tant aux États-Unis (avec le PWA, Public Works Administration) qu’au Canada, ont endossé l’esthétique Art déco et l’ont propagée à l’échelle du continent. Ce rayonnement a sans doute été facilité par la capacité de l’Art déco à apparaître moderne sans pour autant être révolutionnaire (donc plutôt rassurant dans une période de doutes), et qu’il s’accommodait en outre plutôt bien de budgets restreints : la simplicité géométrique de ses lignes était moins coûteuse que les articulations complexes à colonnes, entablements et frontons traditionnels, elle était parfaitement adaptée à une production industrielle des matériaux, et son décor pouvait très bien se résumer à des jeux de lignes architecturales ou de simples contrastes de matériaux (cf. Pavillon principal de l’Université de Montréal) sans nuire à la qualité architecturale du bâtiment.

 

Il est certain cependant que le déplacement géographique de l’Art déco du foyer européen (parisien surtout) vers le continent nord-américain s’est accompagné d’une mutation, notamment esthétique, mais aussi sociale. C’est surtout sensible dans le domaine des arts décoratifs, mais cette réalité se retrouve aussi dans l’architecture : en s’appropriant l’Art déco, les Nord-Américains l’adaptent pour leurs besoins propres, introduisant des mutations dans le style. C’est ainsi par exemple, que les lignes Art déco se trouvent appliquées aux gratte-ciels avec le succès que l’on sait (au point de rendre la silhouette « en gâteau de noces » caractéristique de l’architecture Art déco!). En outre, les lignes Art déco sont propagées largement par les programmes gouvernementaux durant la Dépression (au point de se voir surnommé aux États-Unis « PWA style »). Et puis surtout, elles sont diffusées et popularisées (au sens propre du terme) dans les constructions destinées à la classe moyenne, dans lesquelles les formes Art déco n’apparaissent plus parfois que sous forme de vagues influences. 

Il est ainsi indéniable que l’Art déco connaît sur le continent nord-américain une vie propre, progressivement rendue indépendante du style Art déco français; comme en témoignent les fameux Empire State Building et Chrysler building devenus des icônes architecturales, comme en témoigne aussi ce qui est parfois appelé le « tropical deco » à Miami, qui résulte de la reconstruction après l’ouragan de 1926, selon un style Art déco d’interprétation très locale (décors à motifs de faune et flore locale, couleurs pastels). Mais c’est surtout avec le style Streamline moderne* que l’Amérique du Nord contribue le plus significativement à enrichir l’Art déco d’une inflexion nouvelle au cours des années 1930 : sous l’influence de l’aérodynamisme des moyens de transport modernes (avions, automobiles, paquebots, etc.) l’architecture Art déco adopte des lignes plus fluides, les horizontales prennent le pas sur les verticales, les angles s’arrondissent, les éléments métalliques linéaires (garde-fous, marquises, enseignes lumineuses) deviennent parties-intégrantes du décor. Ce style coexiste en Amérique du Nord avec les courants modernes plus radicaux : style moderne (P. Johnson, R. Neutra), style international* (L. Mies van der Rohe) et brutalisme* (B. Goldberg) – entre autres – et ne s’éteindra que dans les années 1960.

 

[1] À l’initiative de Herbert Hoover alors secrétaire d’État au commerce (avant de devenir président). Cette délégation, de même que la presse américaine (NY Times en tête), rendaient compte quotidiennement de leurs découvertes sur le site de l’Exposition.

[2] Paul Cret, prof de dessin architectural à Philadelphie pendant trente-quatre ans, Jacques Carlu, professeur au MIT de Boston pendant dix ans.

[3] Le bâtiment de la Chambre de Commerce de Montréal démoli en 1964 était situé au 17 rue Saint-Jacques Est. Il est illustré dans la Journal de Commerce canadien, vol. LV, nº 4 (avril 1927) p. 32. Il fut l’unique réalisation de Cormier pour les milieux d’affaires. Les archives du CCA conservent les études de façade et les plans sommaires datés de 1924 ainsi que les dessins d’exécution, réalisés en association avec J.E.C. Daoust; fonds E. Cormier, 2301-1 à 2301-12.

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