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ÉTAT DES LIEUX

de l'architecture Art déco à Montréal

Il n’existe aucun état des lieux du patrimoine architectural Art déco de Montréal. Et aucun état des lieux n’est véritablement possible tant qu’un premier travail d’inventaire n’aura pas été mené: celui-ci est plus que jamais nécessaire.

Dans un contexte de transformation et de densification urbaine comme en connaît Montréal depuis les années 2000, ce travail d’inventaire est capital, parce qu’en l’absence de cet outil de base, aucun travail de protection ni de valorisation ne peut être véritablement engagé.

Face à une éventuelle requête de démolition d’un édifice Art déco, comment juger du bien-fondé de l’octroi d’un permis de démolir, si on n’a aucune idée du caractère exceptionnel ou répandu de ce type de construction?

Un inventaire à peu près exhaustif permettrait au moins d’éviter la disparition de spécimens devenus les seuls chacun dans leur genre (« unicum » en patrimoine) : cela éviterait de déplorer une perte semblable à celle de l’ancien cinéma Snowdon par exemple.

 

Ce travail d’inventaire permettrait de mieux protéger et donc, de mieux valoriser ce patrimoine.

 

La protection, une tâche difficile mais nécessaire

 

Les édifices Art déco sont nombreux à Montréal, « ceci implique une certaine circonspection dans les actions publiques de conservation »[1], surtout dans les contextes budgétaires difficiles que nous connaissons.

  • Protéger n’est pas simple : quoi protéger?

 

Bien sûr, il est impossible de prétendre tout conserver; mais par contre, la priorité pourrait être donnée à la préservation systématique des intérieurs d’époque encore bien conservés : l’Art déco se voulant un art total (comme l’Art Nouveau et le mouvement Arts-et-Métiers qui l’ont précédé), il est important de conserver –  quand elles existent encore! – les combinaisons intérieur/extérieur, afin de garder l’authenticité de l’ensemble et ne pas le dénaturer. C’est précisément l’enjeu qui a mené à la protection en 2000 du restaurant du 9e étage de l’ancien magasin Eaton, démarche qui a eu le mérite de faire prendre conscience à la collectivité de la valeur patrimoniale inestimable de cet ensemble : c’est le plus bel espace commercial de style Art déco conservé à Montréal.         

 

  •  Pourquoi protéger?

 

Les motivations ne manquent pas. Nous en soulignerons quatre :

 

La première, c’est la qualité de certaines réalisations, qualité qui mériterait une protection afin de garantir leur intégrité – sachant que celle-ci dépendra cependant toujours du bon vouloir du propriétaire.

 

La seconde motivation, c’est que le bâti montréalais Art déco connaît des problématiques sérieuses, même sans vouloir verser dans la dramatisation excessive. Des problèmes structuraux d’abord : on constate que beaucoup de bâtiments sont en mauvais état (ou nécessitent des soins particuliers voire récurrents), certainement en raison de leur construction pendant les années de la crise économique (avec des matériaux de qualité médiocre et/ou une main d’œuvre éventuellement peu qualifiée)

 

La troisième motivation d’une protection, c’est le peu d’intérêt suscité par ce patrimoine – peut -être considéré par beaucoup comme trop récent et manquant alors de la crédibilité accordée par le passage du temps? La première protection d’un édifice Art déco au titre de monument historique au Québec date de 1974 : il s’agissait de la Maison Cormier, sur laquelle planait la menace d’une démolition. C’est à peine plus tard que la première protection d’un édifice Art déco aux États-Unis (1969), avec la Folger Shakespeare Library à NYC (constr. 1929). En France, le premier monument historique datant des années 1920-1930 (mais pas de style Art déco) avait été classé dés 1965 par André Malraux : la Villa Savoye de Le Corbusier (alors aussi menacée de démolition).

Mais à Montréal, entre 1974 et 1994… rien. Aucune mesure de protection d’un bâtiment Art déco par les pouvoirs publics provinciaux. Et depuis lors, les protections n’ont guère été réalisées que devant la menace de disparition de bâtiments… tandis que d’autres étaient démolis dans une indifférence quasi-générale (cf. Disparitions)

 

Enfin et surtout, il faut protéger le bâti Art déco parce que c’est la première véritable approche moderniste (avec toutes les nuances qui s’imposent) de l’architecture montréalaise  québécoise, au même titre que l’est dans le domaine pictural, le travail du groupe du Beaver hall (parfaitement contemporain de l’affirmation de l’Art déco à Montréal), qui a fait l’objet en 2016 d’une très belle et instructive rétrospective au Musée des beaux-arts de Montréal.

Une première approche de la modernité avec des résultats parfois peu convaincants voire médiocres, certes, mais aussi avec des réalisations très originales – et pas forcément « dévoyées » ainsi que l’affirment parfois péremptoirement certains commentateurs.

Ex : Clinique inspection des viandes (1935, Donant Beaupré), en péril depuis 2017 

Ex : Bain Généreux (1926-27) Jean-Omer Marchand

Ex : Pavillons du Pont Jacques-Cartier sur l’ile Ste-Hélène (1927-21, arch. inconnu)

 

Mais comment le grand public peut-il prendre conscience de la valeur de ce patrimoine architectural, de son importance dans l'histoire collective, en un mot, comment peut-il se l'approprier, si rien ne vient en souligner l’importance?

 

  • Constat : une protection insuffisante pour assurer une reconnaissance

 

En 2016, seulement 4 édifices Art déco de Montréal sont classés Monuments historiques par le ministère des affaires culturelles du Québec (à quoi s’ajoute l’édifice Ernest-Cormier, càd. l’annexe du Palais de Justice (1921-26, classé en 2014), mais qui n’est pas de style Art déco)

Il s’agit (dans l’ordre chronologique de leur classement) de la maison Cormier (1930-31), classée monument historique in extremis en 1974 parce que menacée de démolition; du théâtre d’Outremont (1928), menacé dès les années 1990-91, classé lieu historique national par le fédéral dès 1993 et seulement l’année suivante par le provincial (1994); du restaurant Le 9e du magasin Eaton (1931) [1], classé en 2000, parce que menacé suite à la fermeture des magasins Eaton; et du Cinéma Le Château (1931, classé en 2002).

Quel est l’enjeu de cette  reconnaissance du patrimoine Art déco  par les pouvoirs publics? C’est aux instances culturelles municipales, provinciales, fédérales de désigner l’intérêt ou le caractère significatif de certaines réalisations au grand public, pour qu’il prenne conscience de l’importance de préserver ces « marqueurs culturels » : l’histoire commune n’est pas faite seulement de dates de batailles et de faits d’armes.

 

[1] Le restaurant est d'ailleurs improprement appelé "Restaurant Ile-de-France" (nom qu'il n'a jamais porté, et qui, après analyse approfondie, se révèle d'ailleurs erroné) sur le site Internet du Répertoire du patrimoine protégé du Québec 

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